Métaphores

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LE JARDIN ETAIT LE CHEMIN DU CIEL, ET LE CIEL ETAIT EN L'HOMME

 
 
 
 

illustration extraite du film de François Truffaut "L'enfant sauvage"

 

 

« Un homme ! hargna-t-il. Un petit d'homme. Regarde ! »

 

Dénudé, faisant corps avec la fange, j’étais, je suis…, je serais toujours l’enfant naissant à la contemplation du Monde, dans des langes de feuillée, une crèche de verdure et le souffle de l’été.

 

« En  effet, devant lui, s'appuyant à une branche basse, se tenait un bébé brun tout nu, qui pouvait à peine marcher, le plus doux et potelé
petit atome qui fût jamais venu la nuit à la caverne d'un loup. Il leva
les  yeux pour regarder Père Loup en face et se mit à rire. »

 

Chien sauvage ou souffle chaud du vent de juillet, le loup me renifle, je sens sur ma peau ses babines moites…,

 

« Est-ce un petit d'homme ? dit mère Louve.

Je n'en ai jamais vu. Apporte-le ici. »

 

La mère est là, elle me porte au sein pour goûter le lait et le miel de ses mamelles.

 

« Un loup, accoutumé à transporter ses propres petits, peut très bien, s'il est nécessaire, prendre dans sa gueule un œuf sans le briser.  Quoique les mâchoires de Père Loup se fussent refermées complètement sur le dos de l'enfant, pas une dent n'égratigna la peau lorsqu'il le  déposa au milieu de ses petits. »

 

« Qu'il est mignon ! Qu'il est nu ! ... Et qu'il est brave ! dit avec douceur mère Louve... »

 

illustration extraite du film de François Truffaut "L'enfant sauvage"

 

 

Le cul assis entre deux branches, entre l’espace-temps d’un lieu ouvert à la spontanéité et celui d’un moment unique, frêle comme une pudeur de cristal, l’enfant connait l’équilibre instable de la vie, la sensualité primaire de l’être et la bestialité naturelle des créatures ; il
connaît  par cœur et à fleur de peau égratignée, l’imaginaire qui
parcoure les  forêts et l’invisible qui traverse le visible ; il
fréquente la nuit la  présence les hommes pipistrelles, et le jour celle
des hominiens qui  donnent des conseils et des leçons de morale.

 

Les fesses dans les  ramures de sureau, des râpures d’arc à flèches entre les doigts, il est  un familier de l’espace illimité des pensées
fuyantes, entre l’enfance  et adolescence, l’innocence et la
clairvoyance, il sait la différence  entre la pureté de cœur et le
formatage maison, l’ intuition et la  raison, la roche et le bois,
l’instinct qui vous met aux abois, et le  duvet qui vous couvre les
lèvres depuis quelques mois...

 

Il vénère  l’eau, plus que l’influence de la civilisation, car il est composé  lui-même d’eau et de rêves à quatre-vingt-cinq pour cent !

 

 

En ce temps-là, comme tous les garçons et les filles de mon âge, j’avais les  doigts pleins d’encres et des yeux pleins d’encres et de couleurs.

 

 

 

Mes premiers écrits datent de cette époque ! J’écrivais déjà, comme sous la dictée des anges, tel le Prophète Mahomet, qui transcrivait les paroles de l'archange Gabriel, homme fort de la famille des Messagers, celui même qui annonce à Marie la naissance du Verbe  créateur ; car, c’est bien connu, dans la Famille Dieu, on communique  toujours avec ses prophètes et ses poètes par l'intermédiaire de mails en forme de cœur.

 

Au fil de la plume et du pinceau, je revis, je  revois mon passé le plus lointain, mêlant mes souvenirs les plus flous,  aux visions ou aux apparitions les plus féériques.

 

Entre passé et futur, "je", "tu" et "il" se mélangent, car la distance entre-eux semble s’effacer dans le présent !

 

Mélange de curiosité et de contemplation, il regarde le Monde des adultes,  qu’il compare avec celui des enfants ; il tire de l’épreuve la preuve que le Monde est grandement complexe.

 

(...)

 

 

Un corps, c’est un arbre, un grand «  Chêne Pointu » qui ne cesse d’étendre ses ramures, de croître dans tous  les sens, de s’élever comme flèche de cathédrale, mais l’arbre est aussi  son lieu de lecture préféré ; la bibliothèque Verte de chez Hachette  connait bien ces cabanes dans les feuillus touffus, ces rayons de  branches où le livre se fait frondaison, et où les feuilles elles-mêmes  se transforment en pages, pour raconter « L'homme des vallées perdues »  ou « Les secrets de la mer Rouge » d’ Henry Monfreid, « Ivanhoé » ou « Voyage au centre de la Terre », etc.

 

L’enfant  imaginant que Vernes, Jack Schaefer, Walter Scott et tous les  écrivains, étaient de véritables aventuriers, ayant réellement vécu  leurs récits à la lettre, ne pouvant  encore imaginer que les mots soient si trompeurs !

 

illustration extraite du film "Sa Magesté des mouches"

 

 

Bien  avant que l’on ne parle d’immersion dans les  langues, ou de programme Erasmus dans tout l’enseignement européen,  lubie de prof ou caprice des dieux, durant ces années balisées de  culottes courtes, ces saisons passées à l’école Notre-Dame du Raincy,  quelques nouvelles du «Livre de la jungle » et des extraits de « Sa Majesté  des mouches » étaient marqué à notre programme d’un premier cycle  d’Anglais, du sceau de l’enfance sauvage.

 

Ces "Jungles Book" et "Lord of the Flies" ont eu sur moi une influence considérable ! En 54,  j’avais justement l’âge de ces plus jeunes héros.

 

Tout comme  Jules Verne, à la même époque, Rudyard Kipling et Sir William Golding,  et tant d’autres auteurs, ont habités, au ciel et sur les mers, mes  rêves au mètre carré des mots, en évasions et rêveries solitaires, peuplant par là même tant de maux que l’enfance ne peut encore supporter.

 

Comme  si la colle blanche nous rivait à nos
sièges ; à ces moment là, entre  le brouhaha en purée de la cantine, les  jeux d’urinoirs et les pupitres  gravés de souvenirs…, même les mouches de l’école participaient à  l’intérêt de la classe, tournant autour des encriers, s’imprégnant des  odeurs de transpiration, laissant des empreintes de pas malpropres sur  le papier buvard, virevoltant entre les pages sans pli ou même salement  froissées des livres et des cahiers plus ou moins neufs ; visitant aussi  les cartables pleins de consommables, et traçant sur le tableau noir le  mot « Pig » en lettre capitale.

 

Il y a réellement un cochon qui  sommeille au 

 

 

 

Cancre clairvoyant, J’ai 

 

 

illustration extraite du film "Le livre de la jungle"

 

 

Au-delà des maîtres mots de l’enseignement et de la  morale, outre les impératifs : « il faut ! », « il faudrait ! », « on  doit ! », aux
doigts et à l’œil…, Passant d’un récit à l’autre, selon  les états d’âme
de la classe et les événements, ce prof d’anglais pas  comme les
autres, comparait semble-t-il « l’initiation » à la langue de 
Shakespeare avec « les rites de passage » de l’adolescence.

 

 

Illustrations extraites du illustration extraite du film de François Truffaut "L'enfant sauvage"

 

Retenus
  prisonniers à nos bancs, comme des bêtes de foire agricole, par un 
vieux Nobel et par un futur prix, nous étions tellement captivés par 
tant d’aventure, que nous incarnions des pieds à la tête Mowgli, petit 
d’homme, dans la jungle des profs et des premiers de classe ; et face au
  tableau noir comme ce groupe d’écoliers anglais, échoués sur une île
du  Pacifique, il n’y avait plus parmi nous d’interne ou d’externe, mais
  rien qu’une bande d’excités emportés par les mots d’une aventure 
fascinante.

 

J’ai connu en colonie de vacances, ce même «
élan  littéraire », cette identique faim de lettres, ce même
emportement, car  les mots sont des clés qui nous ouvrent le cœur et
l’âme.

 

La même  année, dans les étangs du Château de
Maison Rouge, à Gagny, j’ai même  rencontré la fée Morgane, la dame du
lac, et dans les carrières  abandonnées aux jeux interdits, j’ai croisé
le regard de prédateurs de  tous genres, et celui aussi, de promeneurs
solitaires qui n’avaient que  de la paix au cœur et quelques élans
d’admiration à partager avec les  enfants qu’ils étaient encore
eux-mêmes.

 

 

 

 

Car le jardin était le chemin du ciel et le ciel était en l’homme

 

«
  Quand on compare les individus appartenant à une même variété ou à une
  même sous-variété de nos plantes cultivées depuis le plus longtemps et
  de nos animaux domestiques les plus anciens, on remarque tout d’abord
qu’ils diffèrent ordinairement plus les uns des autres que les
individus  appartenant à une espèce ou à une variété quelconque à l’état
de  nature. Or, si l’on pense à l’immense diversité de nos plantes
cultivées  et de nos animaux domestiques, qui ont varié à toutes les
époques,  exposés qu’ils étaient aux climats et aux traitements les plus
divers,  on est amené à conclure que cette grande variabilité provient
de ce que  nos productions domestiques ont été élevées dans des
conditions de vie  moins uniformes, ou même quelque peu différentes de
celles auxquelles  l’espèce mère a été soumise à l’état de nature. »

 

Charles Darwin, de l’origine des espèces - chapitre I - de la variation des espèces… (causes de la variabilité).

 

 

 

 

Quel est, Monsieur, le chemin d’évolution ? Et l’expression exacte de l’humaniture ?

 

L’idée
  même de la traversée du jardin humain par les encres et les sèves,
vous  traverse-t-elle l’esprit comme l’esquif traverse l’océan ?

 

Comme
  tous les supports, pour être traversés par le souffle fait trait, la 
terre, la chair, la toile comme le papier sont des milieux vivants, de 
véritables lieux d’incarnation. Ne compose-t-on pas les graphies : 
encres, mouvements, etc., comme se compose la nature ?

 

Jardin japonais

 

Les
  représentations du jardin sont plurielles, verger ou potager, dans le
jardin, c’est-à-dire en l’homme, et dans le Monde (car l’homme n’est
pas  en dehors du Monde, mais en plein dedans !), tout est déjà semé ;
mais  toute conscience reste encore à jardiner, puisque le Monde
lui-même est  en l’homme, comme une conscience à cultiver, une grâce à
cueillir, un  tout à partager.

 

Là où s’épandent les
encres, les sèves et le  sang pour tracer des passages évolutifs, tout
est don, pépinière,  échange, parterres, complexité et communion,
compost, pistil, bouquets  de fleurs et bosquets d’épines, communication
entre les plantes de ma  chair et la chair de mes plantes.

 

L’attente
d’un divin jardinier,  qui d’un coup de bêche magique retournerait les
choses, est peine  perdue, car au jardin tout reste à travailler pour
croître !

 

Le  cul entre deux ramées, deux ramages…, entre
deux origines, divine et  cro-maniesque…, en son corps impubère, des
pieds à la tête, tout le  démangeait, surtout les questions !

 

À
deux doigts de l’invisible,  au cœur même de son intimité, l’enfant
savait les cavités comme des  alvéoles, qui mènent à la pureté des
choses, il savait déjà le mystère  des carrières où l’esprit travaille
la chair comme on travaille le  pigment d’ocre rouge, par le feu des
espaces et la meule du temps.

 

Salamandres,  tritons et
rainettes…, tout semblait comme concentrés, en ces « trous  de bombes » ;
tous les amphibiens de la région parisienne semblaient  avoir élu
domicile en cette forêt de Bondy, ici même, où était son  jardin.

 

Alors
que le prince métamorphosé en grenouille rêvait de  devenir humain,
l’enfant voulait quant à lui être changé en batracien ;  l’âge bête
n’est-il pas celui de l’indistinction, celui où l’on  s’identifie le
mieux, entre animus et anima, à la meute des enfants ?

 

Comme
  d’autres plantent des drapeaux à prière ou des moulins à vent,
l’enfant  faisait des croix de quelques morceaux de bois trouvés sur
place, et  son box d’un morceau d’humus qui sentait si bon la terre.

 

Avant
  le tout premier jour, l’esprit planait sur le néant, il n’y avait pas
une seule question dans l’air, tout était déjà réponses et puanteurs !

 

 

Points,
  lignes, plans, entre traits d’union et tirets, le jardin est tiré à 
quatre épingles, il s’étale sans honte, corps vivant offert à tous les 
vents.

 

Au jardin, dans leurs traits de caractère, l’homme
Vitruvien de Vinci et le néandertalien de Corrèze, ne sont-ils pas l’un
  et l’autre des cousins de l’arbre à papillons ? Des proches parents
des  galets roulés par les rivières, et des frères de sang du cheval de
trait  ?

 

Ne dit-on pas dans la quadrature du cercle, que
Notre Dame  Nature a distribué les mêmes mesures à toutes les créatures
de par le  monde ?

 

Alors, pourquoi attendre pour jardiner ensemble ?

 

 

’âmar

 

En
  genèse 18,13, on trouve trace de cette première question, parce que 
parler nous fait homme questionnant, et que répondre nous met debout !

 

Déclarer,
  crier et s’écrier nous fait bête, parole, interrogeant les sables et 
les marais, consultant l’herbe et l’arbrisseau, demandant à l’oiseau 
d’où lui viennent ses ailes et à l’ange, pourquoi, pour quelle raison 
n’a pas de sexe entre les jambes ? Pourquoi Sara, la princesse, a-t-elle
  ri ? Pourquoi les scribes ne seraient-ils pas aussi des hommes de 
l’Être ?

 

En lisant Darwin, seul dans son coin de nature,
couché  nu dans les fougères comme un primitif aux abois, l’oreille aux
aguets,  la peau griffée d’idéogrammes naturels, les narines ouvertes,
recouvrant  des mémoires oubliées en des relents de mares…, depuis des
heures,  l’enfant se posait toutes ces questions, en taquinant du bout
d’une  herbacée un coléoptère rouge sang.

 

J’étais l’enfant
nu et  l’enfant lisant dans un grand livre rouge, l’origine des
espèces.  L’enfant couché là était l’ami des insectes et des
arborescences ; il  vivait dans son monde, entre la mer de ses origines
et cette forêt de  Bondy qui l’avait accepté…

 

Entre les feuillus et lui, qui avait adopté l’autre ? On ne le saura jamais !

 

Là, il poussait en âge, mais sans sagesse selon le Monde !

 

Avec
  grâce, délicatesse, et beaucoup de douceur, tout autour de lui, un 
jardinier bien luné, semblait avoir semé l’amour et bien planté la vie,
pour que grandisse les questions et croissent les inconnues.

 

Dans
  l’attente de réponse aux pourtours des nuages, l’enfant mordille ses 
lèvres ; « Chaque jour en son temps ! » semble répondre la coccinelle, 
arborant ses douze points comme pour marquer mon âge et ma fragilité.

 

Alors
  sans attendre un mot de plus, l’enfant pose son oreille sur la terre,
comme on écoute contre le rail froid, les messages codés d’un omnibus 
venant d’ailleurs.

 

Ce qu’il entend vient-il de l’os ou
bien du  bois ? Du métal ou du cœur profond ? L’enfant ne peut le dire,
mais il  peut le penser ! Ou bien cela vient-il plus surement, de
pauvres Lutins  prisonniers en de sombres cavernes, des rocailles
couvertes de lichens  et mousses de mémoires, intelligentes comme ces
eaux lourdes qui  remontent des entrailles de la Terre.

 

Un
souffle chaud circule  autour de lui, porteur de mille senteurs variées
; il y a toujours comme  des présences en ces bois de Clichy.

 

 

De ses propres lèvres, l’homme s’écrie : « Mais, de qui suis-je le jardin, romarin et thym ? »

 

Au nom des Pâquerettes ou de ce ver de terre, « Serais-je le jardin de moi-même ? »,

 

Calendula, soucis jaunes ambrés de vieux ors, « Quand serais-je un Homme ? »

 

« Comment et pourquoi, hortensias ? »

 

À peine pubère, j’étais l’homme et l’homme était l’allié des bêtes et des résineux.

Prostré au pied d’un arbre, un sureau, l’inconnaissance la queue entre les jambes,

 

Et ce fut le premier jour, celui des premières questions, car le jardin était grand et les questions essentielles !

 

S’écriant
  : « De quel sang suis-je l’encrier ? », au second jour, de ses propres
  mains griffues, l’homme ou l’enfant, qui sait, s’écrit dans le
silence: «  Où suis-je dans le jardin de moi-même et en moi-même dans le
jardin ? »

 

Et  comme pour y voir plus clair, car on voit
mieux avec quelques clins  d’yeux noir sur blanc, un peu de recul sur
les pleins et les vides, il  se mit à calligraphier, il se fit même
calligraphie comme on se fait  présence ; puis, dans un mouvement de
jambes, il se dévêtit d’une raie  de lumière, ce fut le premier sillon, a
l’aube d’un troisième jour,  l’homme était devenu chorégraphique.

 

Petit enfant ou grande bête, exister pour être, tel est le chemin des encres et des errances !

 

«
  Être, et naître dans le Monde et donc en lui, et hors de lui aussi, de
  métamorphoses successives en illusion de soi…, quel chemin ! »

 

Murmurent
  en douce les remous de la petite rivière, celle qui traverse les bois
de Clichy, entre deux barrages de pierres et de rondins.

 

Ainsi
  s’engendre-t-il lui-même, l’enfant fait homme, devenant sa source et
ses  propres origines entre le nerf et Internet ; autour de lui le
rideau  vert se levait sur de magnifiques paysages, l’enfant créait sa
toute  première scénographie, nous étions au troisième jour.

 

Derrière
  lui et devant lui, dans le mirage du temps, tout était tension en-soi
et  attention à l’autre, attention et tension entre nous aussi, car le 
temps n’a pas prise sur l’amour et la distance !

 

Pression
des  sèves, des sangs, des larmes, des encres et des humeurs…, la vie 
s’épandait depuis toujours et s’épandra encore et toujours d’âge en âge,
  comme une énergie qui se donne et se dépossède à perte de vue.

 

Entre lierres grimpants et fougères coupantes, l’enfant respirait l’adulte, et l’homme à venir soupirait l’enfant…,

 

Entre
  le dedans et le dehors, les passages sont nombreux ; entre les vases 
communicants, c’est un flot de paroles qui semble stérile, un lieu de 
conflits éprouvés en des duels éprouvants, lieu des flux et des 
fluxions…, mais au bout de l’allée, c’est la promesse d’un avenir 
meilleur, la preuve de l’épreuve !

 

Car le jardin n’est pas une pelouse tranquille !

 

וַיִּטַּע יְהוָה אֱלֹהִים, גַּן בְּעֵדֶן מִקֶּדֶם וַיָּשֶׂם שָׁם, אֶת הָאָדָם אֲשֶׁר יָצָר

 

Quittant
  le jardin des supplices, après avoir pérégriné parmi les multiples 
fichiers et incroyables dossiers, sous-dossier, et autres supports 
insupportables, formalisés et fragmentés, cachés à certains ou partagés à
  tous, dans les méandres toursiveux de mon propre disque dur, j’ai 
retrouvé ces souvenirs d’enfance et la mémoire d’un jardin perdu.

 

(...)

 

Auroville (Pondichery)

 

De Pâques à la Pentecôte.

 

En
  ces temps là, après deux bonnes semaines de route, je suis arrivé dans
  un adorable jardin, nous étions le jeudi 26 mars 1970, à Pondichéry,
au  sud de l’Inde.

Le jardin était le chemin de l’homme, mais
aussi le  chemin du ciel, et le ciel était en l’homme, en attente comme
en  suspension, entre la pénible pesanteur des causes et toute la
légèreté  de l’apesanteur des grâces ; entre deux eaux, jardin comme
suspendu dans  l’espace par un grand écart, pour un léger zeste de
temps, tout comme  les jardins de Babylone.

 

« Auroville ! » cria le conducteur, enrobant tout le tapage du car de sa voix forte et chaude;

 

Autour
  de moi, les jardins d’Auroville étaient déployés comme des étoiles, 
tels de grands espaces verts où la vie et le temps semblaient avoir 
tissé l’éternité avec les fils rouges d’une trame d’humanité, en plein 
chemin d’unité.

 

Avant les mois les plus chauds et la
saison des  moussons, le climat en ce mois de mars était bien agréable,
c’était le  temps parfait pour me retirer sept fois sept jours dans mon
jardin  intérieur.

 

« L'homme est un être de transition… »

 

Transiter, transition, tram, transe, transi, un homme transit, comme hiberné, pensais-je, comme en partance, comme en dormance…,

 

Sri Aurobindo

 

« Oui, un être de transition… » me répéta Aurobindo qui savait mon esprit éparpillé, comme fragmenté.

 

Entre
  deux tasses de thé, bues en compagnie de Mère et de Bernard , ici
nommé  Satprem, ensemble, à l’unisson comme de concert ou de nature,
nous  partageons sur la vie, l’amour, les événements, l’art et la
poésie… la  fragmentation de l’Univers et l’Unité aussi.

 

« J’y ai trouvé la trace lumineuse de l‘Esprit », disait l’astrophysicien.

 

Aujourd’hui, après 40 ans, je me souviens de cette phrase de Jean Charon, dans l’un de ses nombreux ouvrages de vulgarisation.

 

Charon
  qui après avoir voyagé au cœur de la matière, dit y avoir découvert la
  trace lumineuse de l‘Esprit ; et parallèlement à Charon, j’entends 
encore « Mère » qui dans un souffle évanescent, soulignait avoir « 
rencontré la matière tout au bout de l’esprit, comme une merveille sans
nom ».

 

L’Esprit dans la matière, la matière dans l’esprit
; le  tout dans le jardin et le jardin dans le tout ! La spirale prend
forme,  elle prend chair, comme un ruban sans fin en une spire de vie,
de mort  et d’amour.

 

L’Esprit souffle, la boucle semble
bouclée comme les  cheveux d’un enfant ; c’est là le Tao et toute
l'aventure de la  conscience !

 

L’Esprit au cœur de la
matière et la matière au cœur  de l’esprit, on pourrait y retrouver les
intuitions profondes de nombre  de mystiques, d’un Teilhard de Chardin
ou d’un Maurice Zundel, pour ne  parler que de quelques contemporains ;
Dieu est en tout et tout est en  l’Homme, en devenir, jardin virtuel où
tout est là comme un Royaume à  portée de la main.

 

Ce Bon
Lieu n’appartient à aucun peuple, à  aucune personne en particulier,
mais à cette grande humanité qui devient  dans tout son ensemble, comme
un corps unique en devenir, à travers de  multiples Univers, dans une
grande complexité ou tout n’est qu’un rien,  où le vide est tout plein
de potentialités ; comme une conscience unique  et multiple à la fois,
là où communiquer veut dire communier entre les  uniques que nous
resterons tous, à tout jamais ensemble dans ce jardin  de béatitudes.

 

Au
commencement, était le jardin et le jardin  était le principe même de
la vie, il était le Verbe Être avant même  d’exister, et l’Esprit
planait sur lui à la croisée des écritures, des  torrents et des
montagnes, comme des traits de toutes sortes, des  lumières et des
couleurs à faire de grandes aquarelles.

 

« Viens  Roland,
viens, je vais te montrer quelque chose, je t’invite à une  nouvelle
Pentecôte », me dit Mère en souriant, tout en me tirant par le  bras
avec délicatesse, « Allons vers le quartier jardin, derrière  l’Asram,
comme il y a des quartiers d’ombre dans la lumière la plus  crue, viens
»,

 

Dans cet Orient mystique dont mystérieux, il y a  des
ashrams depuis plus de quatre milles ans, et derrière les ashrams il  y a
toujours des jardins secrets.

 

Chez nous, en France,
c’était  la Pentecôte, le temps pour moi de recevoir, accepter et
accueillir le  don de la parole au lieu même de la parole ; en ce jour
de kairos,  l’abeille butinait sur la mauve, le lait et le miel
coulaient sur les  collines verdoyantes, et partout autour de nous, les
oiseaux parlaient  le langage des anges.

 

Entre le Monde
judéo-chrétien et le Monde  asiatique, tout est choc des paradigmes et
donc des idées, des  continents, des religions ; ici-bas comme là-haut,
c’est-à-dire,  au-dedans, tout est changement de vision sur l’homme et
son Univers,  bouleversement des Paradis, des croyances, des illusions.

 

En Gan, il y avait de l’homme en puissance d’être et en Gam il y avait de tout, l’ordre dans le désordre et l’inverse aussi.

 

Le
  second récit mythique du livre de la Genèse, au chapitre second,
verset  huit, nous conte que Dieu planta un jardin en Éden, c'est-à-dire
que le  Bon Lieu était semé, comme planté en l’homme, et que l’homme
était  lui-même semé comme planté dans le divin lieu ; plantés en ce Bon
Lieu  que d’autres nomment Dieu, par peur d’eux-mêmes ; car vie et mort
  étaient en cet arbre de vie que les anges nomment l’homme.

 

Entre la pierre qui roule et la mousse qui sèche, qui est Dieu et qui est l’homme ?

 

Dans
  le jardin, comme chats et chiens, les mots et les maux se cherchent et
  toujours se chercheront, car l’un ne va pas sans l’autre !

 

Et
  l'Éternel Dieu planta un jardin en Éden et vers l'est, il y mit
l'homme  qui a créé, car l’homme crée dieu à son image il le crée, celui
qui dit «  Je suis celui qui est » ne peut être que si nous sommes
nous-mêmes des  êtres d’être !

 

Jardinier en-soi, nous le sommes ! Jardiner en soi ou écrire au jardin, n’est-ce pas chou bleu et rose trémière ?

 

Du
  jardin d’Éden au jardin des supplices, la frontière est mince comme
une  feuille de papier de riz ! Un pas, un choix, un mouvement
peut-être,  une pensée, et l’on passe de l’autre côté !

 

Le
point, le trait et  les différentes formes de la graphie le démontrent,
des harmonies zen  des jardins japonais, aux courbes sensuelles des
jardins anglais,  l’espace tire le temps, pendant que le temps sème les
champs, ainsi vont  les choses du jardin et le jardin des choses.

 

Le jardin était le chemin du ciel...

 

Les
jardins de  Babylone suspendus à mon œil, et ceux de Versailles tout
plein de mes  souvenirs, sont tout un résumé du monde et de mon moi en
pleine dilution  ; il sont comme une synthèse, une émanation parfumée de
tout l’Univers  et un grand chemin pour l’homme perdu dans ses petites
idées; toutes les  allées y sont des liens et des lieux ouverts entre le
micro et le  macrocosme, des passages entre la coquille de l’escargot
et les nuages,  une intériorité et un ciel ouvert aux désirs les plus
fous.

 

À perte de vue, comme une topologie de nous-mêmes.

 

Entre
  marécages et forêts vierges, le jardin peut être le symbole du paradis
  ou même, nous l’avons dit, du cosmos le plus ordinaire, celui qui
trace  la lettre A et tire le trait jusqu’à l’Oméga le plus complexe.
Paradis  perdu entre jasmin et trou de mémoire, là où même les
monastères aux  mille plantes médicinales se perdent entre l’alchimie
végétale et  l’oraison.

 

Le jardin est le reflet de l’être
et l’expression  d’une métaphysique ; il porte dans ses branches et dans
ses oignons, la  vie, tapis de pelouses en spirale ou de murs végétaux
taillés dans le  buis le plus touffu, c’est le refuge des mots et des
parfums ; là où  plus rien ne peut nous séparer de notre humanité en
marche !

 

Les  simples y savent, par l’alchemilla vulgaris,
la mystique étrange des  potagers, et celle des écrits à fleur de peau,
pour déclencher  l'accouchement et faciliter naturellement les choses
de la vie, comme  les mots qui viennent en couches sur des papiers trop
cuits pour être  crus.

 

Les roses et roseraies connaissent
sur l’épine  pointilleuse, les lieux de la source et les fontaines à
l’ouvrage des  roches, les oasis aussi, humide comme des lèvres, à
l’ombrage des mots ;  les Îles perdues, de calme et de fraîcheur
retrouvés, où l’œil se  repose enfin, alors que défilent des ciels de
nuages apaisants.

 

Autant  que les labyrinthes eux-mêmes se
perdent en l’homme, entre délices et  supplices, l’homme s’égare dans
les jardins, il ne sait plus où mènent  les chemins, les choix…,
tellement le discernement est difficile, entre  les choses essentielles,
les spirituelles et celles qui le semblent le  moins.

 

Mon
cousin, Robert JOFFET, fort talentueux jardinier,  urbaniste, doublé
d’un architecte-paysagiste, conservateur « en chef »  des jardins de
Paris, à qui nous devons nombre de magnifiques ouvrages  sur « Les
grands Jardins », savait toute la saveur du souci et l’odeur  de la
menthe fraîche, lui dont le nom est attaché par la tige, depuis  1956, à
Madame Robert Joffet, red blend Floribunda, subtil mélange de  rouges
comme des sangs mêlés aux sèves de délicats plasmas brouillés de 
chlorophylles.

 

De A jusqu'à Z, aromatiques, médicinales, décorative ou métaphysique…

 

L’enfant
  récite son alphabet sur ses doigts tachés de pollen. Il ne connait
rien  à la botanique, tout lui vient de l’intérieur des choses, comme de
la  poussière microscopique, des idées d’étamines et de plantes à
pensées.

 

Achillée  millefeuille - À l’ombrage des arbustes
- Bardane et basilic - Après  avoir aiguisé la plume d’oie sur la
pierre blanche - Chardon aux ânes -  Écrire au jardin - Dahlia - C’est
un peu prolonger le trait du bambou -  Épine du Christ - Laisser couler
la sève de l’encre – Figuier des  Banyans - Et tracer des calligraphies
qui sentent bon le romarin -  Genévrier - Avec les larmes du saule et du
bouleau – Immortelles - je  dilue la chlorophylle de mes idées – Jasmin
- Semant quelques mots,  comme ça, à l’aveuglette – Kaki - D’une main
gauche pleine de métaphores  – Lys - Même que les plantes m’inspirent
pour laisser couler l’écriture  dans des carrés des fleurs (…)

Dans
ce grand jardin de l’humaniture,  croyants ou peu, chacun y produit de
la croyance là où il serait sensé  engendrer de la croissance, et même
de la conscience ; ici-bas en ces  lieux de supplices, au lieu de créer
du « Non-Lieu » où il n’y aurait ni  coupable, ni victime, chacun
préfère faire son dieu là où il pense  devoir le faire, en de bons lieux
confortables où le bonheur se compte  en liquidités et en convictions.

 

Jardins
des délices et des  supplices tout à la fois, car les plus grands
biens, sont toujours mêlés  à quelques maux, et les plus grandes plaies à
nombre de grâces !  Bouillon de culture, tel un subtil mélange concocté
en secret dans les  pires spires du Cosmos ; alambiqué là avec patience
dans des éprouvettes  éprouvées par l’épreuve, dans les bas-ventres de
quelques divinités  toujours pleines des chaleurs de la vie.

 

En
pleine pesanteur,  nous quittons progressivement la servitude des
supplices pour tendre  comme des cathédrales vers des terres promises,
c'est-à-dire des terres  pleines de promesses.

 

Ainsi, même
les plus gros mots sont  porteurs de boutons, les plus belles choses
empreintes de laideurs, le  mieux fait à toujours quelques failles et
les noirceurs les plus  obscures cachent des taches de lumière, et
quelques traits de génie  divin.

 

Dans les taches de
chlorophylles, sur la feuille des  rétines, les petits jardins font les
grandes rizières ; toute cause a  ses mérites ! Toute bavure a du prix,
celui de ses propres virtualités  et toute rature supporte bien le monde
entier dans ses grossières  retouches.

 

 

Quand il
respire, urine, marche et transpire ;  quand il se déplace dans l’espace
et le temps, saigne, évacue, cri ou  écrit…, le corps peut laisser des
traces, sa trace, comme signe d’une  présence qui passe, preuve
charnelle d’une épreuve qui est celle de  l’incarnation.

 

Dans
le jardin des jardins, nous sommes tous des  Saints Suaires vivants,
des toiles de peaux tendues entre deux abîmes,  sur des mats d’os
blanchis ; nous sommes toujours comme des Saintes  Faces, aux grands
trous orbitaux ouverts sur l’infini des océans.

 

Dans  ce
jardin, nous sommes tous en nos fibres ténues, en nos nerfs hérissés 
comme des nefs, les enfants d’une biffure d’éternité, dans les plus 
petites retouches de l’infini de l’humain.

 

Plis, replis, 
saillies, creux, traits, corrections de formes et de couleurs, petit 
être d’homme, larve tendre ou dure, chenille souple ou raide pour 
devenir en nos jardins des êtres plus humains.

 

Sur ce
chemin de  création, d’évolution personnelle et collective tout à la
fois, la «  graphie », c’est l’empreinte laissée sur un médium de
contact.  Empreintes variées des corps en marche évolutive ; si l’Homme
n’est pas «  en Corps », il est en puissance déjà là, s’il n’est pas en
corps, il  est bien là, dans les crispations de son enfance évolutive,
preuve  physique d’une épreuve corporelle ou témoignage corporel d’une 
expérience ontologique.

 

Sur la terre comme au ciel, sur
toile,  bois, mur, papier ou dans l’espace…, toute « graphie » se pose
là, comme  une icône, se fait une ouverture, fenêtre sur l’invisible, le
vrai…,  pour dire haut et fort que la réalité se fait « trait » pour
trait, afin  que le trait se réalise ; que la réalité se fasse maux, et
que les mots  la disent mieux encore.

 

La vraie image de l’homme, tout comme un grand jardin, est dynamique, évolutive et énergétique.

 

Jeux
  des formes et des objets, jeux des je et des tu qui se côtoient 
intimement, des sujets du Verbe être qui deviennent, énigmatiques dès 
qu’ils deviennent cocons porteurs de « Sujets » vivants et uniques, 
mi-cotons, mi-épines, comme des lieux mystérieux avec leurs roses 
mythiques et leurs roseraies mystiques.

 

Le jardin est
l’empreinte  virtuelle d’un temps futur, ou le fumier et la fleur sont
liés à tout  jamais, comme le scatologique et l’eschatologique sont liés
par une  logique interne qui va bon an mal an de la cause à la grâce.

 

Ne
  cherchez pas dans le passé, une image, une quelconque ressemblance,
dans  la réalité d’un original, vous n’y trouverez qu’un singe
intelligent !

 

Jardins  nus, jardins crus…, certaines
images restent taboues ! La contemplation  des images et l’iconolâtrie
ne trouveront leur solution que dans le  retournement des yeux, le
décollement de la rétine, la cassure au verso  de la croyance ;

 

L’iconomanie,
ne prendra fin, que dans la  rupture iconoclastique, un état modifié
des consciences qui redonneront  définitivement au « virtuel » son
véritable sens de « vertu. »

 

Par  cette perversion
spatio-temporelle, ceux qui voyaient dans le passé ce  qui est loin en
devenir, se trompaient comme l’on trompe son conjoint,  et nous
entrainaient tous par là même, dans ce mouvement à rebours, dans  une
spirale « fermée » comme on ferme l’avenir.

 

Par cette 
altération théologique, en introduisant Dieu et l’homme (ce qui allait 
de « Père »), en tant qu’image créatrice et originelle du Monde et de 
l’humanité,

ce qui reste une belle et riche image, à décoder 
toujours, on a inversé le cours du temps, de l’histoire, intervertissant
  le processus créateur, et mettant derrière nous ce qui se trouve sans
cesse et sans fin devant nous.

 

Comme conséquence de nos
propres  choix, déroulement d’un ruban sans fin, l’avenir est à nous, en
nous,  lendemains lointains qui chantent, où l’homme sera digne de son
Bon  Lieu, irréprochable en sa place de choix, pour une postérité
couverte  d’ailes, comme des anges, pour transcender l’espace et le
temps et vivre  des différences multiples de la diversité, si je puis me
permettre ce  triple pléonasme pour dépasser un « Beau Jour » toutes
les plaies du  corps, de l’âme et de l’esprit.

 

En
inversant les choses de la  vie, on a chaviré tout, faisant tache
(péché) d’encre en nos empreintes  génitales et digitales,
intervertissant le cours du temps, transposant  le Paradis à construire
ici-bas, de conscience en conscience, dans un  Éden perdu à cause de nos
fautes, un Paradis de carton-pâte, vendu clé  sur porte par un dieu
trop vénal pour être le Bon Lieu auquel je crois  toujours !

 

Si
à travers l’histoire, les images des hommes faits  dieux sont
nombreuses, ne cherchez surtout dans la préhistoire ou dans  quelques
Testaments, l’image originale d’un homme dans le sens de  premier, car
le chainon manquant sera toujours un chainon manqué comme  une erreur de
perspective, vous n’y trouverez que des « images mythiques  » qui ne
parlent même plus aux gens d’aujourd’hui.

 

Mais ce 
Dieu-là, cet Adam-là, ils ne sont « pas en Corps ! », le pas reste à 
franchir ! Pour les libérer en nous et autour de nous, il nous faut « en
  corps » faire l’Unité dans toute la diversité, de la Communion dans la
  communication, oui, tout reste à conquérir !

 

C’est là,
toute  l’aventure de la conscience, qui n’est en rien différente et
séparable  de la condition humaine, de ses péripéties et des équipées
des dieux.

 

«  Un fleuve de sang sortait d’Éden pour
irriguer le jardin, tu seras  comme un jardin luxuriant bien arrosé bien
planté, tu deviendras comme  un jardin d’Éden,

mon chéri descend à son jardin, aux parterres embaumés …, »

De
  nombreuses paroles bibliques m’habitent, pleines d’images 
sacro-saintes, pour m’aider semble-t-il à retrouver en moi le chemin de
la vraie vie ; car entre temps, nous nous sommes fait des jardins 
synthétiques et des vergers de béton.

 

« Mais elle, croyant qu’elle avait affaire au gardien du jardin »,

« La prenant pour le jardinier », traduit la Bible de Jérusalem.

 

Saint
  Jean nous raconte que, se rendant de bonne heure au tombeau, Marie de
Magdala aperçut la pierre enlevée, elle constata de même, l’absence de
l’homme ; et se tenant près du tombeau vide en sanglotant, elle
partagea  avec les anges ; ne crut-elle pas discerner dans la pénombre
une  présence, la prenant pour celle du jardinier, car l’homme est là,
mais  sans savoir qu’il est déjà là, qu’il faut marcher encore vers lui,
  devenir cet être de lumière qui nous appelle au partage de son
humanité.

 

« Mon Rabbi, Mon tendre Maître, dis-moi Rabbouni quel est ce secret ? » crie l’enfant dans la campagne.

Un processus, une délicate métanoïa, une longue procession de prises de conscience et de transformations.

 

Cela revient à cultiver l’Homme en nous, comme on cultive les arts, les mathématiques ou les jardins.

 

Ceux du corps, de l’âme, de l’esprit et du social, sont des jardins divisés en quatre parties qui s’articulent à la perfection.

 

Nimbé
  de lumières lunaires et désaltéré de rosées, tout jardin naît de 
l’intime et de l’ultime, de l’intimité même des corps répandant leurs 
semences comme le pinceau trace les encres aux sillons des papiers, 
retournant la trame, enfouissant les oignons, arrachant les herbes 
folles, mettant du vide dans les trop-pleins et de la matière dans 
l’espace-temps.

 

Planter, attendre, soigner, nourrir,
tailler…,  tous les verbes du Verbe Être sont là, en terre, chair et
végétation à  l’écoute du Ciel, du Jardinier intérieur autant que
céleste ;  transformant l’homme préalable pour le vol éternel du
papillon.

 

De la larve à l’Imago, que le chemin est long !

 

 

Mais
  quelle belle image du chemin que cette chenille humaine ! Cette larve
humaine, qui, une fois arrivée à son plein développement, s'enveloppe 
dans un cocon afin de se transformer en chrysalide, forme qui va à son 
tour devenir l'insecte adulte, avant de se déployer et s’envoler pour un
  autre parcours.

 

Nos ailes sont en attente, latences des
souffles  et des courants d’air chaud. En ce Monde d’aujourd’hui, cette
pesanteur  qui nous rive au sol, c’est tout le poids de la Gloire qui
nous sépare  encore des délices. Mais, dans l’entre-deux, nous sommes
déjà les  témoins et les acteurs privilégiés de la métamorphose ; les
gardiens des  mutations présentes et à venir de l’Univers, et de l’art
de vivre et  d’être « homme de l’être ».

 

Au fil des mots
doux et des couleurs  crues, des graphies multiples qui disent la vie,
suivez les liens, voyez  les rapports et les relations complexes dus au
froncement et à  l’expansion de l’espace-temps dans nos rotules, nos
ridules, patte-d’oie  et autres traits de caractère. Les Univers gravent
leurs exploits,  ondulations, plis et sillons, tout porte à croire que
la vie ne connait  aucune mort, aucune frontière au-delà de celles des
apparences et des  illusions du langage.

 

Dans ses
contractions et paradoxes, le  jardin exprime le secret et l’évidence,
le visible et l’invisible, le  soi-disant naturel et le prétendu
surnaturel, l’immanence supposée et la  transcendance présumée…,
triptyque d’un tout complexe et éclaté comme  des images holographiques.

 

L’impossible,
il est là, soi-disant et  là possible, échange permanent entre le ciel
des possibles et la terre  des aliments immédiats, des herbes à
cueillir, d’un parfum à portée de  narine, mais le compost porte aussi
le fruit ; interactions incessantes  entre le déjà là et la perspective
du « pas en Corps » ; présence des  oiseaux fredonnant et des insectes
bourdonnants et absence des anges et  des démons qui peuplent
l’invisible, tout vole en nous, vers  l’espérance.

 

Telle
la feuille blanche, à l’écart des choses de la  vie, enclos relié de
marges, évoque les limites, pourtant illimitées de  l’Univers, le jardin
a de nombreuses portes, telles celles de  Jérusalem.

 

Ne
poursuivez pas dans une impasse, il n’existe pas de  prototype d’homme,
pas de matrice originelle qui hypothèquerait notre  destinée, rien qui
assujettisse notre futur à notre passé, rien qui  asservisse l’humanité à
un modèle idéal sur les bords et parfait de  prime abord ; c’est à nous
de nous générer, de nous libérer, de nous  chercher dans cet espace
sacré, d’aller au-devant de nous-mêmes, pas à  pas, sur ces Champs
Élysée chaotiques , à nous de jouer le divin jeu du  jardinage, pour
tendre vers plus de béatitudes, plus d’humanité et de  complétude.

 

Allah, n’est-il pas le Miséricordieux Jardinier, Dieu n’est-il pas un Bon Lieu pour l’homme ?

 

Entre
  l’imaginaire imaginé et le virtuel visualisé, pour le plaisir de la 
contemplation, il y a « en principe » du commencement, mais jamais de 
fin en-soi.

 

 

 

L’humanité
se révèle en perspective, progressivement,  et même si parfois le
jardin redevient forêt vierge, même si l’animal  avide de pouvoir se
réveille carnassier entre les roseaux ou quelques  marécages, toujours,
toujours la conscience d’être reprend le dessus, ne  vous fiez donc pas
aux apparences, l’homme devient, malgré toutes nos  critiques, nos
violences, nos états d’âme dépressifs et nos grincements  dedans.

 

Le
jardin nous invite sans cesse à nous remettre en  question et en
marche, pèlerins infatigables, pénitents déculpabilisés  puisque
pardonné, la fureur étant animale, et l’erreur plus qu’humaine ;  le
jardin nous invitant à la promenade méditative sur notre condition 
grossière et archaïque, pour mieux nous acheminer vers cette humanité 
porteuse.

 

Humaniture de nature, à travers déserts et
océans, sur  la voie de l’illumination, restons humble de corps et de
cœur, car nous  ne pourrons jamais parfaitement domestiquer nos
instincts de bêtes, pas  plus que nous ne saurons appréhender totalement
l’homme qui croît dans  ce jardin, même avec nos efforts les plus
louables.

 

 

Le
grand  saint Augustin lui-même ne nous dit-il pas que Priape incarne
l’esprit  infatigablement foisonnant au jardin, là où tout au désastre,
tout  retourne à la nature, tout tourne conspire contre l’ordre ; là où
les  herbes les plus folles côtoient les fleurs les plus prisées,
s’emmêlant  corps et âme comme s’enchevêtrent les corps dans des
saillies sauvages,  envahissant l’espace pour agacer le temps,
encombrant les ères les plus  tortueuses, énervant les hères les plus
saints, innervant les aires les  plus chair… profitant de l’air le plus
pollué pour engendrer la vie la  plus robuste.

 

 

Comme
un moine en contemplation dans son jardin  sec, l’enfant nu dans les
fougères a scruté l’avenir et l’océan le plus  profond, avec ses formes
vides et ses rythmes intérieurs.

 

Avec  l’enfant, j’ai
moi-même contemplé l’abysse et l’essence de l’abime, je  me suis perdu
dans l’ondulation des sables de l’évolution, dans les  brumes et de
vagues cohabitations, contemplant les choses de l’entre et  du revers de
l’eschaton en marche.

 

Il faut nous libérer des  images
comme des croyances, retrouver le terrain vierge des vides et des 
tables rases ; n’attendez pas une irruption imminente de l’Homme avec 
un grand H dans le présent, le royaume à gagner, le jardin du bon lieu 
est toujours droit devant !

 

Peinture chinoise d'Eliane Lecomte

 

(…)

 

 

http://fr.wikipedia.org/wiki/L%27Enfant_sauvage

 

 

 

 

 

 

 

 

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31/07/2011
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