LA VILLE EST PROPRE - éloge du vide
Pas un chat
La ville est propre
Les maisons ont été transportées
Avec grande peine à la campagne
Et la campagne à grand peigne
Coiffée jusqu’en enfer
Pas un chat
La ville est propre
Chacun a déporté quelqu’un
À grands coups de critiques
Il ne reste que moi
Dans un grand terrain vague
Pas une voiture
La ville est propre !
On les a démontées
Pour les remettre en boîtes
En boîte de nuit
Tous feux éteints
Il ne reste que moi
Mon vélo à la main
La ville est propre
On a tout démonté
Le purgatoire est plein
De ces caisses faites main
Les unes dans les autres
Pour ne plus faire qu’un
La ville est propre
Pas un cri
Pas un coup …
Rien qu’un épais silence
Comme une couette en hiver
La ville est propre
Pas un bus en chemin
Bondé de gens
Tirant la tête
Tirant le bus
Tyrans du temps
La ville est propre
On a tout démonté
Même les églises
Avec leur haut clocher
Le paradis parait-il
Est plein de ces vestiges
Où l’on a tant prié
Les Saints du jour et la Vierge Marie
Pour que l’homme s’assagisse
Et que s’ouvre son cœur
Pour qu’il s’ouvre au bonheur
La ville est propre
Ce n’est plus qu’une place
Où j’écrie en silence
Sur la table rase :
« Je tire un trait invisible
Du faire à l’Être »
Les villes-dortoirs
Les mégapoles céphalopodes
Les villes tentaculaires sont viles
Et les cités vidées …
La ville est propre
Comme un enfant au bain
On a tout nettoyé tant l’amour était rare
L’égoïsme lui-même ne tient plus
À sa place
On l’a changé de place !
Et les places de sens et les sens de lieux
Et même les lieux de mot …
La ville est propre
Pas un chat pas un chien
Plus un seul méchant loup
Rien que rien de rien
Des métaphores du vide
À perte de vide
De la vacance en vacances
Espace disponible
Dépeuplé
Libre d’une vraie liberté
D’une vérité toute entière
À perte d’oreille et de vue
Sur les seuils des riens
À côté des riens
Le grand vide en question
Et des questions de grands vides
Pas un chat pas un chien
Que du vide à penser
Du soir au matin
Plus de lune de soleil
Dans un ciel détoilé
Pas une publicité
Qui vous frappe les yeux et vous dit à l’oreille
Comment penser à la page du temps
Comment vous habiller de peur et de tourments
Pour éviter la grippe et agripper la vie
Pas un seul pasteurisé
Pasteurisant du soir au matin
Pour vous dire comment vivre
En grands maîtres de morale
Comment vous comporter
Comment vous purifier
Tout propre comme un sou neuf
Plus de soir plus de matin
L’après-midi est longue
Quand midi s’est vidé
De sa consistance
Et même de son essence
Pas un homme en ces lieux où l’homme défie l’homme
Pas un chat pas un chien pas un homme
Bonshommes de neige fondue
Désespérant de tout
C’est le vide en personne
Qui vous regarde en creux
Plus de métro-boulot-dodo
Le repos immortel en guise d’oreiller
Pas un chat pas un chien pas un rien
Pas un pas, pas à pas rien
Ça se conçoit quand on sait que
Tout est vide !
Ça se conçoit
Quand on sait qu’un néant
C’est quand même quelque chose !
Et qu’un vide de tout c’est encore
Un trop-plein
Et ne restait que moi la tête vide
Mais « je » ne compte pas
« Je » est de trop
« je » est un autre
Je compte pour du beurre
Je compte sur mes doigts
Mais rentrant les mains vides
« je » n’avais plus de « je »
Et n’avais plus de doigts
Je me comptais pour rien
Mais il n’y avait plus rien
Plus de centre ville
Plus de grandes artères
Où le sang des voitures
Coulait en claironnant
La ville est propre
Plus de guerre à l’horizon
Rien que moi
Les yeux cavés de vide
À donner le vertige
Pas une ligne
Pas un mot
Rien que le souffle vital
Qui anime l’Univers
Je suis le mot « vide »
V.I.D.E.
Suis
Mot
Dégagé … de tout
Nada !
En rien le Réel s’étend à l’infini
Et l’éternité se fait silence
Là où l’on regarde et où l’on voit
Où l’on écoute et où l’on entend
L’espace d’un rêve
D’où jaillie le néant
L’écho d’un silence
Qui dit la nuit
Plus d’extérieur aux choses
Plus de forme
Plus de pauvreté
De souffrance
Rien que celles de Dieu
Jusqu’au fond de lui-même
Aux confins de la vérité tout entière
Lumière dans la nuit
Nuit dans la lumière
Entre l’éternité et l’infini
La ville est propre
« Ça » se conçoit !
Plus de faim dans le Monde
Rien que la fin d’un monde
Plus de fin du Monde
Rien que la faim des mondes
La ville est propre
Plus de capitale
Mais une cathédrale de cristal
Vide limpide comme l’éther
La ville est vide
Vide
De l’extérieur vers l’intérieur
Comme un chemin d’intériorité et de contemplation.
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