Métaphores

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L'ARMOIRE NORMANDE

 

 

 

 

 

 

 

La seule différence entre les nœuds borroméens et les nœuds du bois, c’est que les seconds sentent bon la cire d’abeille !

 

 

 

Cadeau de mariage reçu par mon arrière grand-mère maternelle, cette armoire normande occupait le fond de l’entrée, entre le passage qui menait à l’escalier et aux étages, et la double porte vitrée qui donnait sur la grande salle à manger, celle des jeux et des fêtes de famille, celle que l’on devait franchir, enfant, à grands coups de reins et de patins…

 

Seuls autres meubles dans l’entrée de Clichy, une table de bridge pliante, à tiroir secret, avec sa belle marqueterie, qui profitait de l’espace à gauche de l’entrée ; et à droite, le long du mur, un simple sofa, qui, les jours de visite, se prenait pour un canapé, névrose bien connue des meubles, quand ils ont en eux cette peur au bois de ne plus servir que de décoration !

 

Elle me semblait « démesurée » cette armoire, comme gravide de toute la branche maternelle de la famille ; un peu comme si, depuis toujours, elle nous avait porté elle-même dans son propre sein de chêne, contre sa poitrine de rouvre foncé, pleine de sève lactée et sucrée de sa couleur de miel; oui, elle était comme taillée dans le même chêne massif que nos petits berceaux successifs, nos chaises d’enfant, nos chevaux de bois…, au faîte du meilleur chêne que la Normandie puisse compter !

 

Elle trônait dans l’entrée du pavillon de Clichy-sous-Bois, tout comme se pose là un meuble de famille, fier d’être, comme le chêne "Unique" du Chêne-Pointu, un être à part entière !

 

Elle avait parfois la fibre du bois à la limite de l’arrogance, de cet orgueil des beaux bois dont on fait les lits de centenaires, quand les bois nobles et droits connaissent leur véritable valeur et se sentent reconnus ! Alors, les beaux meubles peuvent nous regarder de haut, et même nous donner envie d'être de bois; car il en est de même des hommes de bois que des armoires de chair !

 

« Majestueuse », tel était pour moi son véritable Nom !

 

Aménagée en garde-robe et faisant fonction de fourre-tout, elle était bien « Le Meuble » de la Maison, et elle le savait très bien ! Tout comme peut l’être et le savoir, aujourd’hui même, ce grand miroir en bois sculpté de style Louis XV liégeois qui occupe, comme le mur de l’Atlantique ou celui de Berlin, une place de choix à la maison du Calvaire.

 

Ce miroir , qui, à bâbord, occupe l’entrée de notre maison de Liège, est le seul survivant d’un ensemble de mobilier Louis XV Liégeois, dont mon bureau, avec bibliothèque, son canapé et ses deux fauteuils, étaient l'un de mes objets de fierté, dans les années où nous habitions « Le Pigeonnier », rue des Champs à Hollogne-aux-Pierres.

 

Parfois, certains meubles de famille nouent d’authentiques « relations intimes » avec certains membres de la même famille…, et jouent ainsi à des jeux de familles, où le Père de la Famille Trinité n’a pas d’épouse, semble-t-il, ce qui étonne l’enfant qui pose de nombreuses et délicates questions à son vieux curé sur les mystères de la vie spirituelle !

 

Mais ce Père a bien un fils unique, c’est-à-dire un fils « bien » et « unique », même qu’on dit partout sur les toits de la ville que c’est « un fils de bonne famille », et dans ce jeu de relations où tout le monde se donne, seul « l’Esprit de famille » semble pouvoir les lier les uns aux autres, de la crèche à la résurrection, comme certains grands-parents sont des liants, comme sont liés les anneaux borroméens de Jacques Lacan : Imaginaire, symbolique et réel, tout en un, un en tout, tous pour un, un pour tous !

 

Mousquetaire, je suis, la brosse à poussières entre les mains, invincible Dard t’a niant, enfant seul contre le mensonge et le mépris.

 

Il se pourrait bien, qu’entre l’hémisphère gauche de l’enfant-armoire normande et les meubles de famille « normale », se soit produit un mécanisme similaire, où chacun s’adapte à l’autre et lui fournit ainsi sa subsistance, sous la forme de nourriture affective, sociale et spirituelle, pour que tournent les anneaux comme les engrenages d’un système, dans le sens des aiguilles des monstres Espace et Temps.

 

Grincements côté bois, tels des souvenirs de fourrés piétinés ; palpitations côté chair, quand le corps du meuble se fait contenant pour le corps de l’enfant contenu. Dedans, c’est un silence qui craque, dehors, c’est du bruit qui claque !

 

On parle souvent des « enfants placard » qui ont dans les méninges des étagères chargées de boîtes à mauvais souvenirs, mais il y a aussi les enfants-armoire à balais, qui jouent à l’épée avec des brosses hérissonnes, les enfants- armoires à usages multiples comme le sont les prétextes, les enfants martyrs, abandonnés, envahis ou battus ; il y a encore les enfants-armoires à vêtements pour les endimancher d’amour captatif, d’attentes attentistes, d’inattention ou d’étouffantes intentions, celles qui donnent de l’asthme aux petits enfants et des crampes aux armoires magiques.

 

On peut aussi lister les enfants-armoires aux archives, remplies d’attentes intempestives, des enfants-portrait de l’un : enfant-souvenir, enfant-mémoire, enfant-anniversaire de, descendant de, procréé en commémoration de …, qui survivent tant bien que mâle, au nom d’un autre ou d’Un Tout Autre !

 

Chemin faisant, on trouve encore des enfants-armoire de chambres à coucher les mots dans des oreilles fragiles et les yeux innocents…, enfants-armoires de cuisine, aux épices, à linge ou enfants-médicaments contre l’ennui, la dépression…, les enfants-armoire-bibliothèque, bien dressés comme des dressoirs, avec des tringles entre les fesses, des cintres dans le dos, des porte-manteaux dans le regard, qui pissent dans leur pantalon et rougissent de honte derrière les paravents.

 

Parmi ceux-ci, les enfants armoires-normandes, sont parmi les meilleurs !

 

Mais d’entre tous, je préfère encore, les enfants-armoires à jeux qui s’allongent sur la voie du train électrique pour suicider leurs petits soldats de plomb, qui ont les tempes et les armoires pleines de lits de poupées, de coffres à jouer le « je », de cubes de toutes les couleurs de la vie, des sacs de billes, des puzzles du Monde à l’échelle une, et des jeux d’impatience dans les poches…, ils ont aussi dans le cœur, des armoires avec des tas de livres d’images et d’images de livres, des albums à colorier…,

 

J’ai tout mon matériel à coller les histoires, à découper les souvenirs, à tresser des relations de jeu, et mes crayons avec toutes mes boîtes à peinturlurer les rêves. Avec mon microscope et mon kaléidoscope, je vois le monde beau, complexe et fragmenté…

 

(…)

 

La sève des meubles est un peu comme le sang dans les veines, l’encre au stylo, l’eau à la source…, le bois respire, transpire, conspire contre le feu et la violence !

 

Dans le sens de la fibre, les nœuds et les fils du bois lui servent de nerfs pour communiquer des messages codés aux enfants observateurs et attentifs.

Il y a encore les enfants-armoires à glace, fils de père armoire à glace, des narcissiques, et ceux des armoires sans glace et sans grâce qui souffrent de n’être pas regardés, écoutés, reconnus…

 

Grâce ou glace sont les deux mamelles de la reconnaissance ! Si les deux permettent pareillement à traverser les miroirs ou les espaces de rangement…, ils consentent aussi à nous faire voyager au-delà des reflets et des images, par-delà tous les contenus et tous les contenants, vers soi-même en des armoires plus grandes et plus confortables, ontologiquement parlant, jusqu’aux confins non confinés de l’Armoire-Univers !

 

La mienne est imposante comme un Maître d’école, patinée comme une vieille dame très digne de damer le pion à la vie, tout ça pour prendre l'avantage sur la mort ; dans l’entrée de la maison, elle est présente d’une présence grinçante, comme un guéridon habité, depuis trois générations de couineurs plaintifs, de fouineurs d’inconnues et d’êtres en recherche de sens.

 

Que contenait-elle à l’origine ? Un peu jaunie dans les dentelles, une ancienne robe de mariée peut-être ? Un vêtement de cocktail ou de soirée ? Dans le pavillon de Clichy-sous-Bois, « La » garde-robe semblait garder l’entrée ! Mais de quelle robe de sorcier, de magistrat, de loge de franc-maçon ou de bâtisseurs de cathédrales était-elle la protection ?

 

Garde-robe ? Quels sont les gardes dont on parle ici ? Des Samouraïs armés de sabre, des guerriers de l’invisible, de pieux chevaliers, des Croisés en mal de croisade ? Quelles sont ces portes que l’on ouvre à coups de pinceau, de crayons ou de burin ? Avec des mots clé, des radicaux qui sont comme des impératifs : Sésame, ouvre-toi ou ferme-toi, mais bouge !

 

Comment doit-on l’ouvrir ?

 

Avec grâce et délicatesse probablement ? Avec des mots de passe et des traits de couleurs, avec magie ou par sorcellerie ? Avec des incantations et tout un rituel « familial », intime et ultime que des lignées d’ancêtres ont prononcés, les uns après les autres avec respect et grandes peurs, avec quelques frissons peut-être, avant l’ouverture des deux battants, à même d’entrebâiller les âmes du purgatoire et de réveiller les ascendants oubliés entre deux planches vermoulues.

 

En regardant cette armoire normande, je pense subitement à une autre anecdote familiale ; au cœur du bocage normand, il y avait cette chambre du château de Pontécoulant , où mes oncles et tantes passèrent leur nuit de noces !

Dans cette première chambre, il y avait une armoire à l’image de celle-ci, avec une cloison amovible dans le fond du meuble, passage qui permettait d’accéder à une seconde chambre « cachée » de tous, comme celle d’un mystérieux alchimiste, un laboratoire oratoire pour l’initiation des jeunes mariés.

 

(…)

 

Dans cette armoire normande, il y avait toujours, comme à demeure, la vieille Canadienne de papa, qui occupait la droite de la penderie, avec ses grandes poches toujours pleines de monnaies et de trésors divers.

 

Les armoires, c’est sûr comme des trous de nœuds dans les planches des placards, sont pleines à raz-bord de ces contes sordides dont on gave les petits enfants les jours de pluie ; pleines à bord ras, à vomir, de ces mythes ancestraux qui l’on véhicule de bouches à oreilles, et de ces fantômes pâlichons qui hantent les nuits les plus grises, jusqu’aux tiroirs grinçants des commodes pas commodes.

 

Les armoires, comme celle-ci, sont pleines d’histoires et de transes générationnelles : De Golem en loup-garou, des Barbes Bleues incestueux et des Adam terreux, pleines d’oncles des villes et de tantes des champs, débordantes de suicides par pendaison, de fausses couches et d’avortements, de viol dans la paille, et de vol pour nourrir les enfants, comme dans toutes les bonnes armoires de bonne famille...

 

Pleines encore de jeunes militaires fringants ou blessés, et de vieux abbés déprimants en leurs presbytères et couvents…, et bien d’autres contes encore, d’autres histoires tristes à mourir ou enchantées à dormir de boue, dans cette fange dont on fait les familles modèles, de cette argile noble qui tourne folle sur le tour du temps, bourbe des êtres embourbés dans la gadoue terne des soucis communs, et des terres mouillées de sang et de toutes les larmes amères des mères endeuillées.

 

En observant les frises de l’armoire, on pouvait aisément imaginer le sculpteur, à l’œuvre dans son atelier, au centre de copeaux volants comme des hirondelles ; on pouvait suivre au doigt et à l’œil, le labeur tenace du sculpteur sur bois ou sur pierre, nous qui chez les Reumond avions connu au fil des siècles, plusieurs générations de menuisier ébéniste, tout comme les meuniers et les meunières se sont accouplés les unes aux autres dans la farine des âges, et liés pour la vie aux roues du moulin banal de la Chiers, entre la France et la Belgique, afin de moudre l’être, entre le bois et la pierre, dans les méandres farineux de nos arbres généalogiques.

 

 

Quarante et un, quarante-deux…, je compte, donc je cherche ! Quarante-trois ..., 


Jouer à cache-cache autour d’une armoire magique, « Ça » ne vous rappelle rien !

Comme dirait Freud, Sigmund le décodeur de neurones programmés, le révélateur d’Œdipe et le chasseur de rêves, une armoire magique, « Ça » ne vous rappelle rien ?

P’être ben que oui, p'être ben qu'non !

Car le problème de toute question n’est pas vraiment la réponse, ce n'est pas de dire « oui-oui » ou « non-non » ; 
la véritable difficulté existentielle, pure chair comme du bœuf, c’est dans les deux cas, d'assumer ce « oui » ou d’assurer ce « non » !

Quarante-quatre, quarante-cinq...,

Et si Rainer Maria Rilke n’avait pas existé ? Et si Cézanne était mort noyé à l’âge de douze ans et s’il avait dit « Non » à la vie ? Et si Adam avait été homosexuel et Eve stérile ? Si Paris était mis en boîte ou en bouteille ? Et si la bouteille était à moitié vide, serait- elle aussi pleine que je suis moi-même de mille questions ? Comment peut-on être à moitié vide et si plein de mots vides de sens ?

Quarante-six, quarante-sept..., 

En fait de complication à toute question, c’est la réponse, c’est même tout simplement de répondre !
Et en même temps ou à postériori, de prendre conscience de ce que, mon acquiescement total ou ma demi-approbation, ma négation et mon refus, ont, vont ou peuvent encore engendrer de conséquences plus ou moins compliquées, comme le sont toujours les relations entre les zumains dans un système de plus en plus complexe.

Quarante-huit, quarante-neuf..., 

Le magistral long métrage de Jaco Van Dormael, Mr. Nobody, témoigne avec brio de ce dilemme ! Si j’avais dit oui , qu’en serait-il ? Et si j’avais dit non ? Que serait-il advenu ? Qui serais-je ? Où ? Comment et pourquoi ?
Quelle suite d’événements, quel enchaînement de rencontres ? De portes d’armoire fermées ou ouvertes ?

Cinquante,

Je reviens à ma question, car les criminels comme les poètes reviennent toujours sur les lieux du grime !
Là où les gros mots camouflent les vrais maux, où les métaphores tentent de dirent d’impossibles réalités, où les gros oui cachent des petits non, comme l’arbre-cache-nez cache l’écharde dans la forêt profonde, et l’inverse de même et du pareil au merle, qui cache sous ses plumes d’invisibles envolées.

Cinquante et un, cinquante-deux ..., 

Ainsi, l’homme se farde pour nier l’image, il soigne la représentation pour cacher de terribles secrets de famille, il se maquille de pied en cap pour limiter la casse, dissimuler d’abominable bonhomme des nages, quand chavire la mémoire, crawlé de souvenirs, et transpirent les peaux à fleur de boiseries. 



Jouer à cache-cache autour d’une armoire magique, « Ca » ne vous rappelle toujours rien, une armoire magique entre l’Angleterre et Narnia ? 

Cinquante-trois, quatre et des poussière de moi, et des scures de soi pour un jeu de vie...,
ça vous dit rien non plus ?

Probablement que oui ?

Probablement que si, peut-être même que « ça » vous fait craquer, que ça fait grincer quelque meuble chez vous ? Que ça sent les odeurs de votre enfance, le linge frais, un passé plus ou moins ancien, quand rien ne subsiste, les odeurs qui restent là sont des rappels précieux, comme les sons que l’on ne perçoit plus, comme des âmes en suspens sur les ruines poussiéreuses du temps, impalpables peut-être, mais présentes , comme l’odeur de cire sur les meubles, le frisson des tissus dans la penderie, l’odeur du papier journal froissé, le parquet ciré et l’éternelle image des patins que l’on doit mettre pour ne rien salir à l’intérieur quand on revient du jardin…,

Sentez-vous, entre deux lignes, l’odeur des boules de naphtaline que l’on respire à pleins poumons pour se rappeler des mythes familiaux.

Cinquante-cinq, six et sept..., 

Percevez-vous encore les effluves de cigarettes et les relents d’huile de foie de morues crevées…
les pets de suppositoires à l’eucalyptus, aussi fort que les épinards…, exhalaisons multiples ressortant par tous les orifices de l’être, pour s’épandre comme l’Univers, là où tout concoure à nous rappeler que nous avons existé, et que nous sommes toujours des vivants.


« L’Armoire magique » de C. C. Lewis, vous ne voyez toujours pas !

Si pour vous ce n’est qu’un conte, alors arrêtez de lire, car vous n’irez pas fort loin, et vous vous en lasserez bien vite ! Mais par contre, si pour vous c’est « Un Mythe », alors « ça » fait toute la différence ! Puisque le mythe fonde notre propre humanité !

Soixante..., 

Un, deux, trois, quatre…, je suis fiévreux et je compte jusqu’à 43°, je compte mes années jusqu’à mes dix ans, je compte sur mes parents, sur mes oncles et tantes ; à la magnitude des chagrins, je compte sur l'échelle ouverte de Richter, les tremblements de terre de mon petit cœur d’enfant ; je compte les heures à m’ennuyer sur le banc de l’école, je compte le quelques copains, les quelques bons points, les jours avant les vacances et les nuits qu’il me reste à pleurer pour rentrer à la maison…,

2993 CM 78...

Je compte les Dauphines blanches qui passent dans l’allée Angel Testa, les passants, les va-et-vient dans l’escalier, les déménagements de famille…,

« Il a encore grandi ! »,

Du 42 à 15 ans ?

Oui je grandis et je change de slip tous les jours et de culotte chaque année, de moins en moins courte ! Je compte et je change de traits, de taille…

Je compte et je calcule, je joue le jeu pour contrôler, je contrôle le jeu pour jouer, comme pour figer le temps dans la glace et l’espace dans la grâce, car je grandis, trop vite pour être honnête !

Jeu de cache-cache, je compte, un, deux…, jusque à sang ! Soixante-cinq, sic ! 

Mes tempes bourdonnent, les oreilles me sifflent.., stridence et danse des stries, phosphènes en microsillon …, dans le cœur et la tête…, dix-huit, dix-neuf… je compte, j’ai maintenant douze ans !

« Que tu as grandi ! »

Jeu actif à l’intérieur, je pense, jeu actif à l’extérieur, la vie me joue, à l’intérieur comme à l’extérieur, car la maison est grande et le jardin aussi. Nul besoin de règle du jeu, jouer suffit ! Mais le noir est nécessaire pour se faire peur à soi-même, se jouer des ténèbres comme des trains fantômes que nous organisions, souvenez-vous, dans la cave, entre le tas de charbon et les tas de bouteilles.

Mais la règle du jeu est fort simple, respirer pour ne pas mourir, c’est l’enjeu du jeu, le rythme du je et du tu ! Sur son trente et un, trente-deux…, un enfant compte toujours sur quelque chose, alors que les autres décompte !

« Avec tout ce que l’on a fait pour toi ! »

(...)

Alors, les yeux fermés, je continue à compter, pendant que les autres vont se cacher, les uns après les autres dans une bousculade folle, les uns seuls, et les autres plus peureux, en petits groupes très serrés.

Quatre-vingt-dix-huit, quatre-vingt-dix-neuf, cent.

Le temps passe, par la cuisine et le grenier, il passe…, une fois la coupe pleine, le décompte terminé, l'enfant recherche ses frères et sœurs, amis et camarades de cachoterie. 

Cache-cache et passe !

C’est le premier trouvé qui est le prochain à compter, c’est celui qui dit qui l’est, c’est en fait celui qui compte qui cherche, celui qui cherche qui trouve, celui qui trouve qui pénètre le mystère.

Il est difficile de se trouver soi-même et bien plus facile de trouver les autres ! C’est une des nombreuses lois paradoxales des salles des pas perdus. Pour trouver les cachettes, c’est facile ! Il suffit de tendre l’oreille pour entendre glousser quelque part, ou crisser, un parquet, une marche..., dans l’entrebâillement de l’espace-temps.

Et quand l’enfant caché, frissonne dans ce moment magique, l’armoire avec lui grince de ses bois les plus nobles.

Même en dehors de la période des fêtes et des anniversaires, les armoires normandes sont bien mystérieuses, on peut y ranger convenablement des trésors et les abriter du regard des enfants, entre autres merveilles : Père Fouettard, petite souris avec réserve de dents perdues, des bonbons, la hotte du Père Noël, les cloches de Pâques, quelques Anges Gardiens de derrière les vêtements, et y mettre à l’abri, sapin et bonhomme de neige jusqu’à l’hiver prochain.


Mais, dans les recoins de la maison, les Ogres ont la vie longue, la dent affutée, et les fantômes des draps blancs tâchés de souvenirs ! Les murs ont des oreilles et des yeux qui observent, ils restituent les cris, les soupirs jusqu’aux gémissements des couches les plus discrètes.


Portes pleines, pleines portes envers et contre tout, car au-delà des déménagements où ils subissent d’horribles démontages, à chevilles démises, les armoires ont des armures de chêne, pour protéger le contenu des rêves et servir de bouclier contre les flèches des Indiens.

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En France, nul placard n’a cette dimension, en Seine-et-Oise, nulle armoire n’a cette prestance ! Aucun coffre ne contient si précieuses reliques ; nulle commode royale, nulle arche sacrée, n’est si pratique que cette Normande armoire !
D’ailleurs, mes ancêtres navigateurs et charpentiers Vikings, avaient dans les mains et dans l’œil, cette même maîtrise du bois que les sculpteurs virois détenaient pour dresser des armoires normandes !

(...)

Et dans mes jeux d’enfant, le bateau Viking et l’armoire Normande ne faisaient plus qu’un, un seul véhicule, un seul passage vers l’ailleurs.

Lors de mes prouesses en mer, l’ornementation des bateaux, les frises et les entrelacs de l’armoire, s’épousaient, se nouaient, se répondant comme se répondent les marins dans le brouillard ; mélangeant leurs bois à mes couronnes de laurier, à mon casque cornu… 

Ciel et Terre, rêve et réalité, tout autour de moi s’accouplait quasiment, dans une symétrie des poupes et des proues, pour de grands exploits en terres inconnues, de par le monde des mers et des espaces célestes, avec un seul mât, celui de la rêverie, et une seule quille, d’un seul tenant, mon corps d’enfant emporté par la vague…,

j’étais Rolon et Guillaume le Conquérant, Roland de Roncevaux et Doudou de Clichy en un seul élan... 

À tribord, lors de mes raids imaginaires, je disposais d'un petit gouvernail constitué d’un violon... 

Avec son faible tirant d'eau, son fond plat, l’armoire normande était mon étonnant drakkar, mon bateau de guerre et d’exploration ; dans les tempêtes familiales, ma coque tenait bon, pour passer de la Dhuis à l’océan et de la mer à des eaux peu profondes…, afin de revenir doucement m’échouer sur la plage de Luc, ou de Langrune, mes deux ports d’attache.

Oui, nul bahut de par les océans, n’aurait tenu aussi longtemps la Mèr ! 

(...)



17/03/2011
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